Introduction au Manifeste

Faire Société avec la Nature

Cette introduction résume les contributions au Manifeste de François Collart Dutilleul, Olivier Hamant, Ioan Negrutiu et Fabrice Riem. Elle prépare aussi la démarche de co-construction qu’implique ce manifeste.

Le contexte

Les Français font de la santé une priorité absolue. Les jeunes battent le pavé dans une inquiétude existentielle que l’on lit dans le manifeste « pour un réveil écologique ». Des étudiants de la Sorbonne, des Écoles Normales et d’AgroParisTech récusent le modèle de société se demandant à quoi et à qui servent leurs formations. Le programme d’union populaire est social ET écologique. Des intellectuels, des activistes et des politiques sont à la recherche d’une méthode de gouvernance portée vers l’action au moment où une nouvelle Assemblée Nationale a vu le jour. En somme, des décideurs sans boussole et aux rustines logistiques, et une société exposée à des vulnérabilités imbriquées et des incertitudes croissantes. Or, l’histoire pas si lointaine nous donne des clefs de lecture et d’action. Par exemple, nous sommes 50 ans après le sommet et la Déclaration de Stockholm, le rapport pour le Club de Rome, et la conférence des Nations Unies sur l’environnement. Et 50 ans pendant lesquels les instances internationales ayant un effet déterminant sur le monde sont principalement celles dont le fonctionnement repose sur la circulation de l’argent : OMC, BM, FMI. Les autres sont des instances de paroles.

Sur ce constat, nous passons à l’acte avec une méthode qui donne vie au récit de Michel Serres, Le contrat naturel.

Les grandes lignes

La question de fond est de savoir comment on règle les conflits qui opposent culture et culture, nature et culture, nature et humanité, nature et société. Faut-il penser en termes de contrainte juridique ou, à l’instar de Michel Serres, chercher le consensus et le contrat ?
Nos rapports sociaux dépendent grandement de la manière dont nous parvenons à garantir les besoins les plus fondamentaux des êtres humains dans un monde où les fluctuations et les incertitudes s’accroissent. C’est pourquoi il est impératif de définir un ensemble de valeurs permettant d’insérer habilement la société dans les cycles, les fonctions et les interactions de la nature.
Nous expliquons pour commencer pourquoi la robustesse, et non la performance, est une valeur clé des sociétés de demain. Or, à l’heure actuelle, ni les besoins, ni les ressources, ni le droit qui les relie n’ont cette robustesse qui permet de se fondre dans la nature dont nous dépendons tant. Où peut-on trouver cette robustesse ? Sans doute au premier chef dans la santé, une santé élargie : la santé humaine avec celle de la société qui en est une condition et un préalable. Et avec celle de la nature elle-même, dont la crise climatique et la crise sanitaire nous rappellent avec insistance que la santé de la société est indissociable de celle des milieux naturels. On appelle cela la santé commune.

Ces trois composantes du concept "santé commune" sont construites à partir des besoins humains garantis par des droits fondamentaux. Quoi donc de plus concret et urgent que cette question de santé commune, et surtout le lien qu’elle permet de nouer entre des ressources naturelles limitées et des besoins sociaux maîtrisés. Car les ressources sont les nutriments des écosystèmes sociaux.
Le concept de santé commune suppose d’ouvrir sur les systèmes naturels les droits humains, qui sont le cœur du contrat social, afin d’entrecroiser ces deux ensembles. C’est pourquoi la santé commune peut agir comme antidote concernant le déni ou la résistance à la crise écologique : elle permet de transcender « la difficulté structurelle du souci écologique à s’insérer dans des modes de vie incompatibles avec celui-ci ». Car lorsqu’on insiste sur le besoin de rendre désirable la transition écologique, il y a deux désirs absolus et intemporels dans les sociétés : la santé et la justice. Les voilà indissociablement réunies ici. La démarche ressources-santé commune a été conçue pour purger le système des dettes sociales et écologiques. Ceci est à la fois une nécessité de santé et de justice.

Surtout, la santé commune est à la fois un objectif pour l’action et une méthode pour identifier les décisions pertinentes au regard de cet objectif. Encore faut-il préciser que les besoins humains sont déterminés par deux références. D’une part, il s’agit des besoins garantis par des droits humains. D’autre part, ces besoins sont ceux qui, pour leur garantie, requièrent de prélever de manière significative des ressources naturelles. Pour ce faire, le moyen le plus pertinent consiste à chercher un ajustement entre des besoins fondamentaux et des ressources naturelles plutôt qu’entre des offres et des demandes. Car la première loi de la vie réside précisément dans un tel ajustement, dans une telle mise en adéquation. Par exemple, l’alimentation est le levier le plus puissant pour assurer la santé des humains et de la planète.

La santé commune prédispose donc à un tissage contractuel. Il viserait à établir un équilibre entre ce que la nature donne aux humains et aux sociétés, et ce que ceux-ci lui restituent. Cela impose de ne pas considérer les premières comme de simples marchandises et de ne pas soumettre les seconds au jeu du libre-échange. Il s’agit donc de recevoir les ressources de la nature de manière à satisfaire les besoins humains avec raison et prudence, et à utiliser les ressources de la raison humaine pour permettre la robustesse et la pérennité de la nature. Une pérennité qui rend inséparable le triptyque sol-eau-ressources biologiques, matrice de nos existences.
Ainsi, la santé commune devient une méthode de gouvernance du territoire et de ses ressources spécifiques, les décisions devant impérativement « cocher » positivement les composantes humaines, environnementales et sociales de la santé. Autrement dit, une méthode systémique pour concevoir les rapports sociaux et économiques au sein d’une nature avec laquelle nous voulons renouer. Mettre le doigt dans l’engrenage ressources-santé commune est un passe-partout pour ouvrir toutes les autres portes du changement civilisationnel. L’ensemble fonctionne sur le long terme, c’est donc la manière la plus raisonnée de maintenir une économie stable et sobre en ressources. En ce sens, le local ne s’oppose pas au global, ni le court terme au long terme . Se dessine alors les dimensions géo-écologiques des dépendances entre les régions du monde et leurs projets politiques.

A partir de là, instaurer une primauté des besoins fondamentaux, au premier chef le besoin alimentaire, suppose des politiques publiques territorialisées et qui convergent vers l’objectif de santé commune. Avec les droits et les devoirs correspondants à assumer. Cela ne se fera pas sans un vocabulaire et une grammaire en commun. Ce commun permettant à chaque peuple de faire sa propre littérature économique et écologique tout en convergeant vers un objectif mondial commun, c’est-à-dire le respect des cultures, des histoires et des géographies de chaque communauté et territoire.
En embrassant la radicalité douce du Manifeste, à nous tous la tâche de déceler des principes transversaux de gouvernance pour en extraire la substance intime, faite de santé commune, de liens sociaux d’un bien vivre ensemble. Donc, de confiance et d’espoir partagés.
Pour donner de la force au présent, y a-t-il une autre voie pour faire société dans les bras de la nature ?

Un travail participatif

Pour s’atteler à cette tâche, il va falloir commencer par le sens et le poids des mots. Nous mettons en ligne à partir de septembre 2022 la rubrique Vocabulaire et Grammaire avec des fiches-notions à partager avec le plus grand nombre. Partager un vocabulaire dans la société pour développer une grammaire à l’échelle des territoires est inévitable si on veut comprendre pourquoi la myriade des alternatives s’avère inoffensive au complexe industrialo-commercial et que les consommateurs que nous sommes s’enferment la plupart du temps dans les niches créées par l’industrie et le marché.
Enfin, par cet effort de clarification sémantique, notre démarche permet de constater que d’autres grands récits et idées de ces dernières décennies sont en fin de compte des variations socio-écologiques de nos expériences et de nos représentations. Qui visent de sortir d’un modèle de société « low cost » afin de s’inscrire dans un projet noble et exaltant de libération des humains et des non-humains. C’est l’ambition de ce Manifeste.
A votre bonne santé !

Ioan Negrutiu, 29 août 2022

Article publié ou modifié le

8 septembre 2022