Transition 5 - Croissance versus décroissance

2.2 Croissance versus décroissance, les modèles fiables manquent toujours

La croissance est la variation positive de la production de biens et de services marchands dans une économie sur une période donnée (Clerc, 2013).
Les modèles économiques qui utilisent de manière intensive les ressources physiques doivent être repensés dans le sens d’un découplage en termes de production et de consommation. Ce découplage se décline chez les experts soit par la croissance durable (ou « verte »), soit par la décroissance. Dans les deux cas, des investissements publics et privés importants sont nécessaires à court terme pour restructurer l’économie et les infrastructures en particulier (le rapport Stern préconise d’utiliser 2 % du PIB annuellement à cet effet ; Stern 2007).

La croissance. La révolution industrielle verte reste un pari, car

  1. son potentiel de croissance (bâtiments intelligents, transports et urbanisme, services, etc.) est considéré comme faible à court terme dans les pays développés
  2. la création nette d’emplois est jugée peu robuste à long terme (Clerc, 2013 ; Frémeaux et Lalucq, 2013 ; Tubiana, 2013).

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les conditions sont très variables entre les pays en termes de base énergétique, d’empreinte environnementale, ainsi que dans la nature et les objectifs du contrat social à mettre en place.
L’étude prospective concernant l’adoption du « facteur 4 » dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre en France d’ici 2050 illustre la difficulté de la tâche (CLIP, 2012).
Sur les cinq scénarios analysant les modes de vie et les comportements individuels associés (consumérisme vert, individu augmenté, dualité et sobriétés plurielles, écocitoyenneté, âge de la connaissance), aucun n’arrive à atteindre pleinement cet objectif lorsque l’on vise l’accès à une qualité de vie pour tous et une cohésion sociale satisfaisante, tout en préservant les services fondamentaux des écosystèmes.

La décroissance, concept politique, économique et social, récuse une croissance infinie sur une planète aux ressources finies. Les conséquences sociales et économiques de la décroissance sont à prendre en charge par les pouvoirs publics (Callenbach, 2011) : modes de production très économes en matières premières, réduction importante de la consommation et des inégalités sociales, passage d’une société de l’accumulation à une société de l’usage, etc...

Le concept de la décroissance reste à élaborer et à argumenter davantage sur l’ensemble des processus socio-écosystémiques. La recherche d’une vision économique inspirée par des considérations liées aux fonctions et mécanismes performants à l’œuvre dans les écosystèmes (compétition, efficacité des ressources et efficacité énergétique, processus évolutifs coopératifs, etc) est une voie à privilégier . Dans cette recherche, le rôle des indicateurs socio-environnementaux et l’importance capitale de la gestion publique des big data ne peuvent qu’être soulignés.

Dans l’ensemble, le changement de modèle de production d’une économie linéaire (matières premières – produits – déchets) à une économie circulaire s’impose, car il peut avoir un impact considérable sur le développement. Il s’agit d’instaurer un premier cercle vertueux (Rifkin, 2013 ; Guichardaz, 2013).
L’Etat doit jouer un rôle majeur de par ses capacités de financement et d’investissement, de législation, d’infrastructures et de pédagogie.
Les acteurs locaux doivent impérativement compléter et appuyer cette initiative, le cœur du concept d’économie circulaire reposant sur des réseaux locaux, innovants et efficaces, notamment par rapport aux problèmes d’externalités négatives.

Enfin, il faut rappeler que beaucoup d’activités humaines se déroulent en dehors des marchés (Dasgupta, 2010) et que l’espace de la marchandise et de la marchandisation peur être borné. Ensemble, ces deux aspects changent également la perception et le design du développement.

2.3 Pour la dignité, par le travail, le vivre ensemble

La production économique est gérée et organisée par le monde du travail : réorienter la production, c’est repenser le travail (par exemple, le sens même du travail, la part des formes d’économie sociale et solidaire) ou le réorienter (c’est-à-dire créer de nouveaux emplois dans des secteurs clefs de la transition ou procéder à la reconversion des emplois déjà existants).
En effet, la transition écologique nécessite une adaptation massive de divers secteurs phares (Renner et al, 2008), tels que l’agriculture et l’agro-alimentaire, l’eau, la valorisation des déchets, les énergies renouvelables ou encore l’efficacité énergétique.
Pour mieux anticiper les compétences requises et les besoins en formation (Pôle Rhone-Alpes, 2013), l’importance de l’information et des jeux de données est cruciale, notamment dans l’évaluation de la création nette d’emplois (c’est-à-dire la création soustraite à la destruction) dans un secteur donné et l’évaluation des effets sur d’autres secteurs (OIT, 2012).

Repenser le travail signifie aussi promouvoir la démarche du care : développer les liens sociaux malmenés, restaurer la dignité et la capacité d’agir des individus, la recherche d’un art de vivre ensemble, introduire du sensible et le souci d’autrui (Brugère 2010 ; Manifeste convivialiste, 2013).
L’Economie Sociale et Solidaire (ESS) s’attache à intégrer ces dimensions. Son importance croissante s’est traduite par la création en 2012 d’une délégation du ministère de l’Economie et des Finances spécifiquement dédiée à ce domaine et par un projet de Loi cadre. L’ESS est constituée de l’Economie Sociale, regroupant les associations, mutuelles, coopératives et fondations, dont le but est de satisfaire un objet social défini par les adhérents, ainsi que de l’Economie Solidaire qui rassemble des organisations à forte utilité sociale et de services de proximité, comme les organisations caritatives et humanitaires ou les associations d’aide et de soin à la personne. Ces deux économies ne sont pas mutuellement exclusives, la plupart des structures se situent dans les deux catégories (Frémeaux, 2013).

Extrait de « Pour une démocratie socio-environnementale : cadre pour une plate-forme participative « transition écologique »
Les auteurs : Clappe et al, 2014
In : Penser une démocratie alimentaire / Thinking a food democracy, vol2, Collart Dutilleul F, Bréger T (Eds.), Inida SA, San José,pp 87-112

Article publié ou modifié le

15 septembre 2014