Territoire, démocratie, politique
Le territoire, lieu de vie des communautés au sens large, est une manière d’habiter un espace donné avec des activités enracinées dans les ressources locales, c’est-à-dire un espace-ressource politique où les besoins fondamentaux sont exprimés et où les décisions sont prises sur ces ressources sous la forme de projets gouvernés (par ex., villes en transition, municipalisme comme auto-gouvernance, économie sociale locale, etc.). C’est l’espace et le temps d’une démocratie qui s’invente perpétuellement et concrètement. L’objectif est de faire converger les intérêts publics et privés et de coordonner des politiques publiques disjointes (eau, terre, agriculture, santé, environnement) et les activités du secteur privé par un effet structurant à long terme. En fin de compte, l’articulation entre les différents projets et les territoires définit l’action publique en tant que stratégie(s) de développement possible à travers des complémentarités territoriales encadrées par des instruments et des mécanismes financiers, réglementaires, organisationnels, etc. cohérents (Melot, 2009). La cohésion des territoires devient un horizon à atteindre (ANCT, 2022). Il en va de la cohésion sociale et de la préservation des ressources des territoires à l’aide de politiques plus systémiques.
Autrement dit, le concept de et la pratique du territoire en tant que socio-écosystème à dimensions plurielles indiquent que les échelles-territoires et leurs contours varient en fonction des projets concrets et des acteurs mobilisés. L’aménagement des territoires de vie devient une socio-écologie des communs, un projet social dans les objectifs/missions de politiques publiques.
Par exemple :
- la problématique énergie-alimentation (bouquet ou mix énergétique et systèmes alimentaires) participe à l’aménagement du territoire couplé à des mesures réglementaires et incitatives des politiques plus globales ;
- la ville comme conditions spatiales (par la concentration) d’un projet social dans les objectifs de politiques publiques (croissance, développement, environnement).
Cela appelle les considérations de Bruno Latour (2018). Pour appréhender le territoire, « (…) ce n’est pas l’espace qui définit un territoire mais les attachements, les conditions de vie, de subsistance (... ) vous avez un territoire si vous pouvez le visualiser et, bien sûr, que vous tentez de le faire prospérer et de le défendre avec et contre d’autres qui veulent se l’approprier…. Sans description préalable des conditions de vie (de son monde), personne n’a d’idée particulière sur ce qu’il convient de faire, … et donc (d’avoir) une position politique. » Par exemple, il devrait y avoir un droit communautaire au territoire de vie à côté ou au-dessus des droits sur la terre que les humains s’attribuent. Il est temps en effet de dépasser le caractère abrupt et radical d’une propriété égocentrée de la terre et de ses richesses, pour retrouver le chemin contractuel de multiples valeurs partagées de nos territoires qui sont tout à la fois le support de propriétés et d’activités économiques, des bassins de vie, des paysages et des environnements communs, de ressources naturelles nécessaires à la vie sociale et spirituelle.
Cela va dans le sens des traditions des communautés indigènes et leurs savoirs environnementaux (Pinton et Grenand, 2007), pour lesquelles des liens forts avec le territoire ont toujours existé. Leurs territoires sont vécus comme des « communs ».
Notes
ANCT (2022) Agence Nationale de la Cohésion des Territoires. Forum des analyses spatiales. Les Regards sur territoires.1-3 février 2022.
(v. aussi https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2022-05/Rapport%20d%27activit%C3%A9.pdf )
Latour B (2018) Il faut faire coïncider la notion de territoire avec celle de subsistance ». Entretien par Nicolas Truong, Le Monde, 23 juillet 2018. https://www.lemonde.fr/series-d-ete-2018-long-format/article/2018/07/20/il-faut-faire-coincider-la-notion-de-territoire-avec-celle-de-subsistance_5334260_5325928.html
Melot R (2009). De la gestion des espaces au projet de territoire : les enjeux politiques d’un changement de paradigme juridique. L’Année sociologique, 59, 177-199. https://doi.org/10.3917/anso.091.0177
Pinton F et Grenand P (2007). Savoirs traditionnels, populations locales et ressources globalisées. In : Aubertin C, Pinton F, Boisvert V (eds.). Les marchés de la biodiversité. Paris : IRD, p. 165-194. ISBN 978-2-7099-1636-3.
22 novembre 2022