Vous avez du temps, nettoyez vos déchets numériques
Parce que les « data centers » consomment énormément d’énergie, il est urgent de vider sa poubelle numérique et de s’engager dans ce tournant écologiquement responsable chez soi dès maintenant.
Vous avez du temps, nettoyez vos déchets numériques
Tribune. On l’a dit, la pandémie va profondément changer notre économie à l’avenir, et plutôt dans le bon sens : des circuits courts et des services publics mis en avant, la démondialisation enfin en marche, peut-être même moins de consommation. La seule bonne nouvelle du Covid-19, c’est qu’elle nous obligera à remettre en question un modèle économique devenu obsolète, dangereux et au fond absurde. Mais à plus court terme, que peut-on faire pour engager ce tournant écologiquement responsable chez soi dès maintenant ? En ces temps de confinement, nous pouvons tous faire un travail très simple : vider sa poubelle numérique. De quoi s’agit-il ?
Aujourd’hui les data centers consomment 10% de l’électricité mondiale. Si rien ne change, cela devrait passer à 20% en 2030 (Jones, 2018). Nous utilisons de plus en plus la dématérialisation, soi-disant pour réduire l’utilisation de matières premières. Ce mythe est faux pour deux raisons. D’une part, il faut bien des infrastructures pour stocker les données, la sémantique du nuage, cloud en anglais, est profondément fallacieuse. D’autre part, en dématérialisant, nous stockons en fait des données sur des serveurs que l’on doit refroidir vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept : ce stockage « chaud » coûte énormément d’énergie. Comme le titrait The Guardian, la diffusion de la musique n’a jamais tant nui à l’environnement depuis le passage du disque au streaming (« Streaming music hurts the environment more than records or CDs ever did », Brennan and Devine, 2019).
Purgez vos mails
Alors profitons du confinement imposé pour faire un nettoyage de printemps dans nos données. Avons-nous besoin de conserver tous nos anciens mails ? Listez les mails non lus et triez-les par date ascendante. Vous trouverez probablement des mails de 2015 que vous n’avez toujours pas lu, et qui pourtant coûtent toujours de l’énergie aujourd’hui : à la poubelle ! Vous trouvez aussi des mails inutiles, faciles à identifier avec des mots-clés, par exemple en utilisant les noms des grandes marques (qui lancent des promotions par mail fréquemment). Vous pouvez trier vos messages par taille descendante pour vous attaquer en priorité aux mails les plus lourds, et leurs pièces jointes.
Dégonflez vos clouds
Allez faire un tour dans vos données stockées dans les clouds (au sens large). Que faut-il conserver dans un cloud ? Des papiers essentiels (par exemple une copie du passeport, une copie du permis de conduire), bien pratique si on perd ses affaires à l’étranger ou en déplacement. Mais sinon, a-t-on besoin de conserver autant de photos ? De films ? De selfies ? Une solution simple : se donner un objectif, par exemple enlever huit fichiers sur dix dans les clouds, en effaçant toutes les données redondantes. Inutile de dire qu’on peut probablement aller au-delà de cet objectif de 80%. Difficile ? Vous pouvez le faire par étapes. Il y a des photos floues, des photos en doublons, des vieilles factures faciles à nettoyer. A la poubelle ! Et puis, à force, il y a les documents où l’on hésite. C’est le moment de réaliser qu’on ne regardera plus jamais les photos qu’on n’a pas sélectionnées dans ses albums ou que l’on n’a pas partagées. A la poubelle !
Conservez les restes au froid
Une fois ce travail accompli, pour les données restantes, mieux vaut les conserver sur un serveur local, c’est-à-dire sur deux disques durs externes, pour pouvoir les conserver ensuite dans deux lieux différents (une fois le confinement terminé). Par rapport à un cloud, un disque dur externe est un stockage froid, c’est-à-dire qu’il ne consomme aucune énergie à part pour sa fabrication. Et puis, à force, peut-être arriverons-nous à la conclusion que ces données numériques nous encombrent. Au fond, si nous devons réapprendre à être des Terriens, il est grand temps de transformer cette décroissance imposée par un virus en une sobriété proactive et pérenne.
En d’autres termes, passer à « l’âge des low tech » [1], pour paraphraser l’excellent ouvrage de Philippe Bihouix. Une autre activité écologiquement responsable en temps de confinement : lire.
Olivier Hamant directeur de recherche à l’Inrae, membre de l’institut Michel Serres, ENS de Lyon
Article paru initialement dans le Libération (http://www.liberation.fr) du 27 mars 2020 sous le titre : Vous avez du temps, nettoyez vos déchets numériques
24 juin 2020