Covid-19 - la nouvelle route de l’agent anti.

La génétique et la politique se sont toujours frottées avec force dans l’histoire des sociétés. Dans mes cours de génétique moléculaire d’il y a 25 ans, on avait évoqué la vulnérabilité humaine devant les pathologies portées par des agents dont le cycle de vie est nettement plus bref que le nôtre. Surtout les plus intimes d’entre eux, les virus, les rétrovirus. Pas très surprenant à vrai dire, mais la médecine moderne a fait des progrès impressionnants pour contourner ou retarder les effets de cette règle du vivant. Mais, la nature et ses chaînes alimentaires ont d’autres tours, détours et routes dans la boîte à outils partagée par le vivant.
Dans mes cours Science et société ou encore sur les ressources [1] , on avait insisté sur la vulnérabilité des milieux naturels devant les impacts des activités humaines amplifiées par la technosphère et sur l’importance de penser les équilibres de la nature plutôt comme des équilibres avec la nature. Les notions de symbiose et de santé commune étaient des éléments de la boîte à outils que les étudiants exploraient avec intérêt [2] .
On savait donc que tous les ingrédients étaient réunis pour que l’inévitable rendez-vous entre un épisode de type Covid-19 et l’espèce humaine ait lieu. Homo economicus, agité et mobile, opportuniste et prolifique, sur-extracteur et sur-consommateur d’une nature-puit de ressources renouvelables mais épuisables, se fait rattrapé par son microscopique adversaire-partenaire. Dans cette co-évolution de combat, aujourd’hui comme hier, tout ce que les anti-pollution, anti-gaspillage et anti-croissance avaient du mal à faire entendre et mettre en œuvre, Covid-19 est en passe de le réussir. Et ceci n’est que le début d’une purge que la société BaU (Business as Usual) s’apprête à vivre. On aurait souhaité que cette purge soit préparée et même maîtrisée [3]. BaU et Covid19 en ont décidé autrement.
Avec des questions qui s’imposent et méritent attention.
Comment des systèmes de santé publique, déjà diminués par des politiques anti-publiques depuis bientôt 5 décennies, vont faire face, aujourd’hui comme demain, aux vagues de pathologies infectieuses (mais aussi au fardeau des maladies non-transmissibles, en augmentation) ? Par quel miracle les systèmes économiques, mondialisés (avec désintégration forte de la chaine de valeurs) et technologiquement et fiscalement asymétriques, vont se remettre en question au profit de systèmes plus résilients, plus diversifiés dans l’espace et plus attachés à des valeurs socio-écologiques faisant sens et nécessité dans le contexte actuel ? Ou encore, les politiques curatives, budgétaires et monétaires, à venir vont-elles être assez coordonnées et efficaces ? Et pour les chercheurs que nous sommes, l’intrigante question du pourquoi la Chine est-elle l’amorce principale des épidémies virales ?
Commençons par la Chine. Ce pays réunit tous les facteurs susceptibles d’alimenter le processus épidémique : culturels-alimentaires, économiques, politiques, démographiques. La Chine est passée en peu de temps de la Révolution culturelle à la révolution industrielle, capitaliste, numérique [4]. Au moment où cette Chine-là se positionne dans la course pour un ordre mondial aux couleurs soyeuses qu’elle affectionne, (1) la toile des routes de la soie mérite d’être bien comprise et accessoirement d’être calquée sur la carte de la pandémie Covid-19 [5] et (2) son modèle socio-économico-écologique doit être analysé à la lumière de ses ambitions actuelles et de son passé.
Concernant ce deuxième point, comment le système alimentaire chinois, basé sur certaines habitudes culinaires hasardeuses et des croyances traditionnelles périlleuses [6], va pouvoir perdurer si les objectifs économiques, militaires, géostratégiques (accaparement des terres, infrastructures de sa mondialisation, …) vont être contrariés par des phénomènes sanitaires qui émanent de ces mêmes pratiques alimentaires ? Le pouvoir politique chinois est confronté à un dilemme. Va-t-il s’attaquer de front aux sources systémiques des contagions virales, et notamment
(I) aux méthodes de procuration et aux conditions sanitaires de préparation d’un nombre important de plantes et animaux rares et exotiques (des animaux comme les serpents, les chauve-souris, les ours et autres civettes qui sont des composantes des chaînes de transmission et transmutation virales), ainsi que
(II) aux dégradations des milieux naturels en Chine et ailleurs et qui, par rétroaction, concentrent les événements de transmission inter-espèces ? En effet, 70 % des pathologies virales chez l’homme ont une origine animale (et la Chine est un foyer dominant), tandis que les écosystèmes opèrent comme filtres et remparts contre de multiples maladies infectieuses.

En même temps, le BaU montre des signes d’énervement, à l’ancienne. Alors, Covid-19 agent antipollution et perturbateur du BaU ? Les bourses dévissent, des grandes surfaces sont dévalisées de papier hygiénique à la phase 2 de l’épidémie, les Italiens estiment perdre 3 points de PIB, les lobbies des affaires et leur relais politiques font comme si la cupidité contagieuse des hautes sphères puisse faire fi des contingences sanitaires et environnementales (voir aussi le film Dark waters de Todd Haynes, en salles actuellement).
Par exemple, la politique migratoire de l’UE autour de la Méditerranée persiste dans la stratégie Frontex, grand profiteur des moyens financiers engagés dans la maîtrise technologique (la technologie des frontières) d’une situation dans laquelle on se demande combien de temps encore des populations déplacées, fortement démunies, concentrées spatialement [7] et entourées de foyers de contagion Covid-19 (Iran, Israël, Italie, Grèce) vont échapper à Covid-19 [8] . Ou encore, pour reprendre la contrainte environnementale, les lobbys « fossiles » qui font tout pour déconstruire et saboter le Pacte vert de l’UE dès sa naissance en mettant en avant les technologies de la capture carbone et les aides publiques qui vont avec [9].
En somme, des ressources publiques sont gaspillées au détriment des besoins dans la lutte contre Covid-19 et ses successeurs, mais aussi aux besoins nécessaires dans la gestion de conflits géopolitiques autour des ressources en eau [10], des zones côtières en sursis [11] – les exemples ne manquent pas, comme le prouve l’état florissant des ventes d’armes dans le monde. Et surtout des ressources publiques pour mettre en œuvre des politiques plus globales de santé commune et de justice sociale [12].

Retour donc sur les débats dans nos amphithéâtres - appuyés par la pensée de philosophes comme Michel Serres et Bernard Stiegler [13] - au moment de Covid-19 à la fin d’un hiver pendant lequel les rosiers n’ont pas arrêté de fleurir à Lyon ou ailleurs.

Ioan Negrutiu, 8 mars 2020

Article publié ou modifié le

12 mars 2020