La cité et la science

Le savant et le politique se parlent-ils encore ?, questionne Dominique Méda (dans AOC Média). Pourtant, il y a de quoi parler. Le pays, l’Europe, le monde regardent l’avenir en se demandant comment l’affronter au mieux. Ou alors comment l’imaginer et y travailler pour faire des fins de mois difficiles et de la fin d’un certain monde un système de société vivable. La science a des atouts dans cette grande transformation.

A quoi sert la science aujourd’hui ?

Les universités, le CNRS, l’INRA, l’INSERM et autres font que la science et les connaissances avancent à grands pas. Le mot d’ordre est la recherche d’excellence et les chercheurs et les chercheuses jouent le jeu, avec des moyens et des contraintes qui appellent le respect. Cette recherche-là apporte des données robustes, fait avancer la compréhension du monde, permet d’identifier et d’articuler des défis entrelacés et – sur cette base, permet de définir des priorités sociétales. Prenons maintenant la contrainte politico-économique, plus forte que jamais, qui demande de faire une recherche dite appliquée. Les programmes de recherches de l’UE, les H2020, excellent dans ce sens.

A qui sert cette recherche appliquée  ?

Elle sert surtout le système dominant, système qui – de l’aveu même de certains de ses représentants, doit changer de logiciel. En clair, changer la société n’est plus suffisant, il faut changer de société. La question d’un nouveau contrat social et écologique apparaît comme la nouvelle frontière. Si la recherche doit y apporter sa pierre, elle doit passer de sa démarche appliquée à une recherche impliquée (lire l’article sur hypothèses.org). S’applique-t-elle à le faire ? Oui et non.

Car il ne suffit plus de

1) rappeler, données robustes à l’appui, que

  • l’érosion de la biodiversité s’accélère (dernier rapport de la plateforme des experts pour la biodiversité du 6 mai, dont les conclusions recoupent celles du dernier rapport sur le climat) ;
  • les enjeux de l’alimentation et de l’agriculture convergent et demandent de transformer la Politique Agricole Commune en Politique Alimentaire Commune (voir le rapport d’IPES-Food) ;
  • les gains de santé publique obtenus avec l’agriculture et la médecine conventionnelles vont péricliter si les tendances actuelles persistent (Valo 2018 ; Fischer et al, 2019 ; Lawrence 2019) et

2) faire un excellent et doublement nécessaire travail sur le terrain avec des acteurs concernés par des questions de transition écologique, par exemple (lire l’article sur horizons publics).

Pour être politiquement impliquée, cette recherche doit argumenter pourquoi les défis de la biodiversité, du climat, de l’agriculture, de l’alimentation et tous les autres soulèvent d’abord des questions de développement, de société. Donc de comprendre que tout se tient en partant des liens indissociables entre les fonctions et les services-ressources de la nature et nos sociétés. La science est bien placée et légitime pour aider à éclairer la décision politique, pour définir le nouveau cap, celui par exemple d’un New Deal pour la Nature et les Hommes (voir l’article sur le site de WWF). La science a tous les outils de l’expertise publique pour évaluer les moyens, la durée, les étapes, les coûts pour y parvenir. Pour faire simple, elle peut quantifier au mieux la purge sociétale qu’il va falloir organiser.
Ou subir.

Est-ce suffisant ?

Non, pour une question d’acceptabilité sociétale. Il faut que l’ampleur et la somme des changements puissent être imaginés et acceptés par le plus grand nombre. Pour cela nous avons besoin d’un récit, d’une philosophie de l’action et d’une méthode . La science – par ces attendus cognitifs et méthodologiques (voir l’entretien), peut donner à ce triptyque une première cohérence. Sans sa démarche méthodologique, les récits et les actions risquent de perdre leur capacité d’entrainement. Donc d’être accepter.

Dans le billet suivant, nous allons présenter un système à trois composants. Il est porté par l’ Association pour le Contrat Naturel .

Ioan Negrutiu, 15 mai 2019

Notes

  • Valo M. 2018, Pesticides : la consommation française cartographiée, dans le Monde du 20 novembre 2018
  • Fischer B et al, 2019, Can nature deliver on the sustainable development goals ? Lancet Planetary Health 3, e112-e113
Article publié ou modifié le

15 mai 2019