Michel Serres sur son 88
Le 1er septembre Michel Serres fête ses 88 ans. Il a décidé de rééditer le Contrat naturel aux éditions Le Pommier, en préfaçant le texte publié en 1990. Les évolutions sociales et écologiques dans l’intervalle sont sans doute à l’origine. Le Contrat naturel reste plus actuel que jamais.
Michel Serres écrit : « … que l’on veuille bien effacer de nos lois et dispositions le terme d’environnement. Nos Anciens distinguaient, en effet les choses qui dépendent de nous de celles qui n’en dépendent point. Nous apprîmes récemment, au risque de notre survie, que nous dépendons désormais des choses qui dépendent de nous. Autrement dit, le monde, choses et vivants, ne forme pas, comme nous le disons avec arrogance, une circonférence dont nous occuperions le centre, c’est-à-dire le pivot, le pôle d’attraction ou le commandement, mais doit devenir un partenaire avec lequel négocier en permanence et, en particulier signer le Contrat dont j ‘ai parlé jadis. (…) Nous vivions du monde et des vivants, comme prédateurs ou parasites, nous devons devenir des symbiotes. Le contrat naturel que ce devenir implique suppose deux partenaires à situations équivalentes et à droits égaux ».
Dans l’interview accordé au Monde le 10 août 2018 « Ce n’était pas mieux avant, mais ça pourrait être pire après ! » (propos recueillis par Nicolas Truong), on lit :
Le Contrat naturel a beaucoup choqué à sa sortie en 1990. La communauté philosophique a-t-elle encore du mal avec l’idée d’un contrat passé avec la nature ?
« Plusieurs choses ont choqué. Tout d’abord, le fait qu’il n’y avait personne pour signer le contrat naturel, en face de nous. Ce à quoi j’ai répondu que c’était la même chose pour le contrat social de Rousseau. Dans les législations de quelques pays, on commence à faire entrer la nature dans des sujets de droit. Aujourd’hui, plus personne ne trouverait abominable qu’il y ait un procès du Parc national des Pyrénées contre les usagers abusifs. Donc, le Parc national des Pyrénées pourrait être considéré comme un objet collectif, un bien commun de droit. On réfléchit même à intégrer ces considérations dans la Constitution.
Peu à peu, cette idée que notre partenaire mondial a autant de droits que nous est en train de pénétrer dans presque toutes les législations du monde. A l’époque, quand je disais ça, c’était considéré comme une folie. Aujourd’hui, on commence à comprendre que la situation est tragique. C’est précisément parce que tout va mieux qu’on ne s’aperçoit pas que tout peut aller beaucoup plus mal. On a un système tellement productif qu’on a du mal à imaginer qu’il peut se détruire demain ».
L’Institut Michel Serres veut l’accompagner dans ce combat, en lui souhaitant d’abord « Bon Anniversaire 88 ».
L’Institut Michel Serres fut fondé en 2012 sur la problématique des ressources et des biens publics.
Il a été conçu comme un creuset, dans lequel se rejoignent aussi bien la recherche scientifique que les initiatives portées par les organisations de la société civile ou les citoyens eux-mêmes, pour retisser des liens positifs, à l’échelle des territoires, entre la santé des milieux naturels, la santé humaine et la santé « sociale ». L’Institut a ainsi défendu, dans le cadre du « Programme Lascaux », la « démocratie alimentaire ».
En 2015, l’Institut Michel Serres a ouvert un nouveau chantier, en facilitant les rapprochements entre les sciences de la nature, le juridique et le numérique, pour faire progresser les méthodologies d’évaluation et de suivi du « capital naturel », considéré comme désignant un système intégré de ressources (y compris humaines) et de biens communs écologiques, et développer des outils pour le prendre en compte dans les protocoles de décision publics et privés. A travers les nombreuses actions conduites depuis sa création, l’Institut a développé un important réseau de soutien, en France comme à l’international, tant dans le domaine scientifique qu’auprès des institutions publiques et des collectivités. Cette légitimité et cette reconnaissance constituent des atouts pour le succès des nouvelles expérimentations, recherches et enquêtes que l’Institut souhaite désormais pouvoir se donner les moyens de conduire avec la « Fondation Michel Serres pour le Contrat naturel ».
La Fondation Michel Serres pour le Contrat Naturel
La Fondation va accompagner « en douceur » la transformation « écologique et solidaire » des territoires. Ses actions se déploient en accord avec les principes de la philosophie du Contrat naturel de Michel Serres. Afin de faire passer « le contrat savant (…) dans l’histoire », elle propose une réorganisation des relations entre la recherche scientifique, la formation et la société reposant sur des pratiques engagées et situées de collaboration, de co-construction et de dialogue. Pour faire passer « le contrat social (…) dans le monde » elle se donne pour mission d’inspirer, de reconnaître, d’accompagner et de relier, en les conjuguant en une pluralité de chemins transformateurs, le foisonnement des expérimentations sociales et écologiques qui trouvent place sur tous les continents. Elle nouera ainsi dans un « nouveau » contrat naturel les pouvoirs que donnent le numérique, le politique et le juridique des peuples d’aujourd’hui avec les savoirs de ceux d’hier.
Le Contrat naturel - en tant que grand récit et projet politique, appelle la métaphore de la santé commune - des personnes, des sociétés et des écosystèmes, pour en faire les fondements d’un contrat socio-écologique. Il permet de dépasser le présentisme actuel et donner le désir de se projeter dans l’avenir. Ce cadre aide à définir collectivement les priorités sociétales à différentes échelles et les ressources disponibles pour leur mise en œuvre dans des processus de transitions écologiques et solidaires territorialisés. Ainsi, émerge une sagesse engagée de la vie publique et de la citoyenneté, attentive aux communs et au bien-être humain, permettant d’équilibrer la gestion par les nombres et la gouvernance par la loi.
Pour préparer le travail de la Fondation, une association du même nom, « l’Association pour le Contrat Naturel », a vu le jour. Les statuts et missions de l’association sont disponibles ci-dessous. Si vos activités professionnelles ou civiles sont en phase avec la philosophie du Contrat naturel, n’hésitez pas à demander à demander à adhérer :
30 août 2018