Aucune excuse pour Lactalis

L’affaire du lait maternisé est un scandale général, sans excuses, sans justifications, sans circonstances atténuantes. C’est un échec de la mise en œuvre du droit de l’alimentation, un échec des procédures de sécurité des aliments, un échec des procédures de contrôle par les pouvoirs publics et surtout un échec retentissant du peu de confiance que les consommateurs pouvaient encore avoir dans les grands opérateurs du secteur agroalimentaire.
L’échec est d’autant plus scandaleux qu’il porte sur un produit réalisé à partir du lait et destiné aux bébés. Les ingrédients de la crise sont moins nombreux que ceux qui composent le produit : un marché faussé par des prix qui ne permettent pas aux éleveurs de vivre dignement (a-t-on déjà oublié la crise du lait qui sévit depuis 2015 ?) ; une concurrence détournée par la multiplication de marques issues d’un seul et même fabricant, parfois d’une même usine et d’un même lait ; le silence gardé sur le problème et l’absence de réactivité (a-t-on déjà oublié la crise des oeufs au fipronil ?) ; la volonté de limiter les pertes en réduisant le plus possible les lots rappelés (on prend ainsi le risque de laisser passer des lots contaminés) ; une grande distribution qui fait exprès de regarder ailleurs, la main sur le tiroir-caisse.

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C’était bien la peine de passer six mois à discuter dans tous les sens dans des états généraux pour en arriver là, à ce point où la première brique de tout l’édifice, à savoir la sécurité sanitaire des consommateurs, n’est pas même assurée. C’est sur l’état général de l’alimentation qu’il aurait fallu passer six mois. Et combien, dans le prix d’une boîte de lait maternisé, les parents payent-ils pour la sécurité de leurs bébés ?
Qu’on ne s’y trompe pas. Le danger aurait été mortel, il se serait passé la même chose. La faillite des procédures et du sens des responsabilités n’est pas sélective. C’est pourquoi cette crise est si grave.
Voilà donc un secteur agroalimentaire qui prend ses bénéfices en amont, sans plus de considération pour la dignité des producteurs de la matière première, et qui les prend en aval, sans plus de considération pour la sécurité des consommateurs. Un système accapareur de valeur ajoutée et distributeur de produits à valeur diminuée.
Et entre les victimes de l’amont et celles de l’aval ? Un dysfonctionnement ? Un "bug" ? Un "ça ne se reproduira pas" ? Non. Pas non plus un simple "trou dans la raquette".
Car quel est ce système sur lequel repose notre sécurité sanitaire des aliments ? Il repose sur un principe d’auto-contrôle, c’est-à-dire sur la confiance dans les opérateurs. Ce principe d’auto-contrôle signifie que chaque opérateur, des producteurs aux distributeurs en passant par les transformateurs, mais aussi les commerçants détaillants, les restaurateurs, tous sans exception, ont le devoir et la responsabilité de mettre en place des procédures de vérification et de contrôle interne de la sécurité sanitaire de tout ce qu’ils reçoivent, manipulent, transforment et vendent. Ces procédures sont précisément connues d’eux tous. Elles s’appuient sur des modalités de traçabilité qui permettent à chaque instant et à chaque étape de tout savoir sur le moindre ingrédient et sur la moindre opération réalisée sur des aliments. Elles consistent dans des méthodes parfaitement connues (notamment "HACCP"). C’est pourquoi la grande distribution n’a aucune circonstance atténuante. Elle savait tout, avait toutes les informations dans son système informatique. Il suffisait de déclencher le retrait des produits des consoles de vente. Car tout ce qui doit être fait dans un tel cas est prévu dans la réglementation : en termes d’évaluation d’un risque, en termes de gestion et en termes de communication en direction des fournisseurs, des consommateurs, des autorités. Tout est prévu. Tout, sauf l’exigence déterminante d’un minimum de considération pour les consommateurs.
Rappelons-le. Redisons le haut et fort, notamment à l’Europe qui a fâcheusement tendance à regarder ailleurs quand une vache devient folle ou quand une poule pond des oeufs au fipronil. Les produits agricoles et alimentaires sont des biens vitaux. Ce ne sont pas des marchandises ordinaires La Politique Agricole Commune (PAC) devrait être aussi une politique alimentaire commune. Le droit qui s’applique aux agriculteurs devrait être adapté aux différents risques qui se cachent derrière les produits agroalimentaires. Les risques liés à un petit maraîchage bio ne sont pas les mêmes que ceux d’une ferme de 1000 vaches. Il y a besoin d’un encadrement juridique lorsque il y a un rapport de domination, dans un sens ou dans l’autre, entre l’offre et la demande.
Pour bien des produits agroalimentaires de base, le jeu du marché peut être délétère. Même les petits enfants le savent : on ne joue pas avec la nourriture.

François Collart Dutilleul
Juriste, professeur émérite des universités

article publié dans le Libération du 13 et 14 janvier 2018

Article publié ou modifié le

19 janvier 2018