Suggestions de lectures - 2

Quelques autres ouvrages autour des questions de l’anthropocène et de la transition écologique et sociétale :

Libby Robin, Sverker Sörlin et Paul Warde, The future of Nature : documents of global change, 2013
Un livre commenté, avec des oeuvres anthologiques reprises en original, de T. Maltus, H.C. Carlowitz, A. von Humboldt et V.I. Vernadsky à D. Meadows, P.J. Knutzen, P. Ehrlich et G.C. Daily, pour n’en nommer que quelque-uns. Sur la démographie, le développement, l’environnement et l’écologie, la technologie et le rapport homme-nature. La richesse et la profondeur de ce recueil méritent le grand détour. « Produire jusqu’à l’épuisement ? » pourrait être son message subliminal. On reprendra ici un exemple, témoignage peu connu de l’état d’esprit à la fin de la 2e Guerre Mondiale (au moment où Roosevelt repensait l’ordre mondial autour de trois priorités : la faim, le travail, la finance ; avec en parallèle la prolifération des agences internationales et l’expansion de l’ONU). En juin 1955, le symposium «  Man’s role in changing the face of the Earth » à Princeton soulignait la nature globale des problèmes et proposait une approche interdisciplinaire de la problématique « ressources ». La question était de savoir si une meilleure gestion suffisait, ou alors s’il fallait un changement fondamental des styles de vie. Voilà l’« American way of life » interrogé bien avant l’heure. La réponse a été la suivante : pour éviter de dilapider le capital ressources, il faut cesser de consommer plus de ressources que la nature et les hommes ne créent chaque année.
Et aujourd’hui ? Jeremy Grantham résume bien la situation (Rotella 2011) : « We have the resources to gracefully handle the transition, but we won’t. We apparently can’t. »

Henry Kissinger, World order, reflections on the character of nations and the course of history, 2014
Analyse des variations culturelles de la géopolitique depuis la paix de Westphalie (1648), pour illustrer les configurations historiques qui ont jalonné la recherche d’un problématique équilibre entre pouvoir et légitimité. Les stratégies et le destin des nations font ainsi l’objet d’un regard panoramique pour déceler les tendances et les patterns de l’histoire et trouver leur reflet dans le contexte actuel. Entre réalisme et idéalisme, raison d’état oblige, la manipulation cynique (et cupide) du pouvoir l’emporte souvent sur l’intérêt des nations. Kissinger est bien placé pour le raconter. La quête d’un nouvel ordre mondial se fait dans la douleur, dans une situation dans laquelle « chaos threattens side by side with unprecedented interdependence ». La reconstruction du système international doit sans doute intégrer dans la culture politique globale la démarche du non-alignement indien (« short term moral neutrality would be the means toward long-term moral influence »), avec la mise en avant de principes dans l’intérêt de la paix mondiale, et la position chinoise par laquelle la légitimité passe par la domination psychologique construite sur des réalisations économiques plutôt que par la force des armes. Une conquête du monde par la finesse d’une nouvelle approche du pouvoir : l’osmose comme une route soyeuse d’assimilation économique et politique. Devant le péril alimentaire, les politiques agricoles - notamment sur les sols, sur les ressources globales et démographiques de la Chine sont là pour nous le rappeler (Chaumet 2017).

Philippe Bihouix, L’âge des low-tech, Vers une civilisation techniquement soutenable. 2014
Argumentaire chiffré mettant en garde contre l’illusion high-tech comme unique horizon dans un contexte dans lequel le low-tech permet de mieux parer à la raréfaction des ressources et aux contraintes et coûts énergétiques liés à l’impératif d’efficacité des ressources. Sans pour autant perdre de vue ou renoncer à ce qui fait le sel de la vie : le futur intelligent pourrait bien être fait d’un dosage high-tech et low-tech socialement juste et écologiquement responsable.

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Noah J. Harari, Homo deus, a brief history of tomorrow, 2016.
Regard anthropologique et historique sur les trajectoires d’Homo sapiens porté par ses rêves et mythes, imagination et ambition. Ce qui risque de donner « envie » à la puissance froide et rigoureuse des algorithmes, engendrés par nos soins, de s’emparer des manettes de commande. Comment on en est arrivé là ? La conquête du monde a eu lieu, l’homme a réécrit les règles du jeu biosphérique. Le monde est peuplé par les humains et leurs domestiques, plantes et animaux. C’est l’Anthropocène. Qui est donc H. sapiens, accro aux fictions et animé par des désirs souvent étranges ? Dans l’idéal, un être qui bâtit sa sagesse en empilant expériences, connaissances, (ouverture d’)esprit, conscience, éthique. Ou alors, un super-algorhitme avec des capacités cognitives hors-normes rendues possibles par des taux métaboliques accélérés et une importante ré-allocation d’énergie pour le cerveau humain (v. aussi Pontzer et al 2016). Ce potentiel cognitif augmenté produit des réalités inter-subjectives, source de complexité sociale. Ceci représente un gain évolutif qui, accompagné de technologie, a donné aux humains les clefs du monde. Pour donner du sens au monde dans un univers dénué de sens, l’humanisme libéral, débarrassé de l’ordre religieux, incite à une quête constante de pouvoir. Le pouvoir des élites et du marché libre capitalistique, mué en techno-humanisme, déprécie tout ce qui entrave la croissance économique, notamment l’équité sociale et l’harmonie écologique. Dans un monde confus et même chaotique, incompréhensible et sans vision, la réalité est augmentée par les algorithmes. Nous déléguons aux machines les connaissances, les informations, les pensées et les émotions des gens. C’est pourquoi elles deviennent intelligentes, d’où tout l’enjeu des données personnelles quasi-illimitées dont elles disposent. Un transfert, un basculement de pouvoir et d’autorité – potentiellement plus neutres et cohérents, se dessine. Peut-être même une fenêtre ouverte sur la soutenabilité globale. Confronté avec des humains aux capacités plus limitées que les machines, que va faire le système avec ce capital humain devenu obsolète, économiquement inutile ? Le système pourrait être confronté à deux problèmes : (1) rien ne dit qu’une intelligence supérieure est plus précieuse qu’une conscience porteuse de valeurs morales et politiques et (2) toutes les révolutions réellement importantes ont été « pratiques », ont concrètement changé la vie des gens.

Ioan Negrutiu

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Article publié ou modifié le

21 décembre 2017