Suggestions de lectures - 1
L’institut Michel Serres vous souhaite de passer de bonnes fêtes de fin d’année et vous suggère quelques lectures autour des questions de l’anthropocène et de la transition écologique et sociétale à apprécier entre Noël et jour de l’an :
Loren Eiseley, The invisible pyramid,1970
Essai sur la sagesse en auscultant la civilisation occidentale qui s’est faite par une addiction à l’innovation, muée en culture Faustienne. D’une nature longuement restée sacrée, la modernité passe son temps à sacraliser la technologie. L’évolution sociale, souvent portée ou renforcée par la technologie, avance plus vite que l’évolution biologique et géologique. En même temps, les hommes semblent avoir la mémoire longue lorsque celle-ci se drape dans les habits des mythes. Or, mythes et technologie ferment certaines portes et piègent les humains dans les prisons de leurs propres mots, mettant des options possibles de changement hors de portée. En objectivant à outrance le monde, l’Occident a imaginé et réussi la démesure (v. aussi Flahault 2008). Avec un récit poignant sur la part qui revient à la science.
Donella Meadows et al, The limits to growth : a report for the Club of Rome’s project on the predicament of mankind, 1972
Première approche exploratoire de modélisation intégrant croissance démographique, consommation des ressources, industrialisation, production alimentaire et pollutions pour esquisser les tendances à l’aide d’une douzaine de scénarios. L’innovation et le progrès technologique seuls ne seraient pas en mesure d’assurer un développement soutenable. Les mises à jour de 1993 et 2004 restent cohérentes avec l’idée que persister dans les tendances actuelles est une voie intenable. Les auteurs tablent plutôt sur la capacité des facteurs sociaux, politiques et culturels à modifier ces tendances. Jorgen Randers, un des co-auteurs, publie en 2012 le scénario le plus plausible pour les 40 ans à venir à l’aide d’instruments de prédiction autour de cinq axes : le capitalisme (il perdure, mais change fortement) ; la croissance économique (faible car affectée par l’accès aux ressources) ; la démocratie (toujours debout, avec des variations d’autoritarisme imposé par la dégradation des écosystèmes) ; les rapports intergénérationnels (mauvais, car les jeunes luttent pour changer leur condition) ; stabilité du climat (très altérée surtout après 2050).
Michel Serres, Le contrat naturel, 1990
Pourquoi le contrat social nécessite un nouveau code éthique faisant de la nature un sujet de droit ? Pour hisser notre rapport à elle au rang de symbiose « dans la justice et le droit ». Car jusqu’à présent, « notre rapport fondamental avec les objets-monde se résume dans la guerre et la propriété ». Pour réapprendre à penser selon « les rythmes et la portée de la Terre » il convient de retrouver la mémoire de ce que nous devons aux paysans et aux marins : « des cultures longues à partir d’expériences locales ». Dans le premier essai « Guerre, paix », la guerre s’impose comme un état de droit, tandis que notre histoire reste aveugle à la nature. Il est aussi question de la concurrence, entendue comme la poursuite de la guerre par d’autres moyens : exploitation, marchandises, argent, information. Dans le deuxième, « Droit naturel », ce droit-là part d’une constatation simple : il faut décider sur le plus grand objet des sciences et des pratiques, la Planète-Terre. Pour cela il faut commencer par donner la parole à des hommes de long terme : les philosophes et les juristes, qui ne trouvent trop anciens ni Aristote ni le droit romain. Pour le troisième, « Science, droit », science et droit s’opposent et sont liés en même temps par la volonté de puissance et de savoir. Et si « la connaissance prend le droit de contester le droit », ce dernier n’a de cesse que de nous rappeler « nos droits de contester nos connaissances ». D’évidence une nouvelle alliance s’impose pour intégrer « les sciences efficaces et rapides à nos droits lents et prudents ». Dans « Cordes, dénouement », cette alliance se doit de profiter des crises, de la crise globale qui « déchirent les contrats » anciens, pour se donner la Terre comme partenaire par des liens de symbiose. La réciprocité de ces liens « dessine le contrat naturel ».
Bjorn Lomborg, The skeptical environmentalist : measuring the real state of the world, 2001
L’ouvrage est très critique sur la façon dont des organisations et des institutions font un usage sélectif et biaisé des données scientifiques, par ailleurs très bavardes, concernant l’environnement et les évolutions sociétales. Voilà la science prise au piège des forces culturelles et sociétales. Le livre est un appel à la science pour que l’aide à la décision soit basée sur des preuves robustes et rigoureuses. Mais de bonnes données ne suffisent pas : une culture scientifique solide doit accompagner la preuve scientifique tout en encourageant la diversité des interprétations. C’est la condition pour hiérarchiser les priorités et dégager les moyens financiers appropriés pour leur mise en œuvre. Pour l’auteur, c’est la pauvreté et la faim, par exemple.
Ioan Negrutiu
21 décembre 2017