Les étudiants racontent l’exception agricole
Pourquoi et comment écouter les jeunes ?
Dans le contexte actuel, l’étude réalisée par « Génération cobayes » sur 53000 sujets en 2016
(https://quedubonheurlenquete.fr/resultats/ et Libération du 10-11 décembre 2016) dit que 82% des 18-35 ans se disent globalement heureux, tout en étant préoccupés par l’état des inégalités (89%). Ils sont contents (54%) de penser pouvoir exercer plusieurs métiers à ce stade de leur vie et restent concernés par la dégradation de l’environnement (37%), par la montée des extrémismes en politique (35%), par le pouvoir des multinationales (33%) et par la santé (31%).
On peut en déduire que dans cette ambivalence le « contrat social » les interpelle prioritairement par rapport au « contrat naturel ». A moins qu’ils ne pensent qu’en visant d’abord les maux et les déséquilibres sociétaux ils seront mieux à même d’imaginer et de canaliser les inévitables changements de nos rapports à et avec la nature.
Voilà ce que disent quatre d’entre eux sur le sujet en commençant par l’exception agricole.
Ioan Negrutiu, 20 février 2017
A J-5 de « Sortons l’agriculture du salon »
L’exception agricole
Par Sebastian Mira [1] , Amaël Dupaix [2] , Olivier Pacholik [3], Valentin Lauret [4]
La dépendance d’un maraîcher poitevin endetté qui survit grâce aux aides de l’Europe ; une production à perte dans un élevage laitier normand ; le cancer de la moelle osseuse d’un agriculteur lorrain exposé aux pesticides ; la ferme des mille vaches qui menace les petits exploitants dans la Somme ; le problème des algues vertes dû à l’élevage porcin en Bretagne ; l’accaparement des terres à Madagascar par des promoteurs chinois ; l’exportation de viande bovine produite par des paysans uruguayens qui ne gagnent pas assez d’argent pour s’acheter eux-mêmes de la viande, etc. Voici une brève liste des réalités auxquelles sont confrontés ceux qui nourrissent la planète aujourd’hui. Telles sont les conséquences d’un système qui se trouve face au plus grand défi de notre temps : nourrir 9 milliards d’êtres humains d’ici 2050. Pourtant depuis quelques années, malgré les efforts permanents des sélectionneurs, des agronomes, des agrochimistes, des constructeurs de matériel agricole, les rendements stagnent. Sans même parler des enjeux écologiques d’une telle agriculture, une chose est sûre : cette vision ne fonctionne pas, ne fonctionne plus.
Aujourd’hui, nous pensons que ce sont les fondements même du système agricole qui sont à remettre en cause. Tous les céréaliers du monde vendent leur production au prix mondial qui est négocié à la Bourse de Chicago. Le blé, par exemple, est ainsi sujet aux mêmes spéculations qu’un produit financier. La ligne directrice sous-jacente est la suivante : comment peut-on tirer profit de l’agriculture ? Ce raisonnement se base exclusivement sur l’aspect économique, oublie les aspects sociétaux et environnementaux qui en découlent et impose un modèle de croissance infinie a des produits issus de ressources finies. Le décalage est flagrant.
Pour cette raison, nous pensons que les denrées agricoles ne peuvent continuer à être rabaissé à l’état de simple marchandise, l’urgence sociétale et écologique est trop importante. Sociétale car l’accès à une nourriture saine et en quantité suffisante est un droit humain, reconnu par les textes internationaux. Ainsi, l’explosion démographique que nous connaissons aujourd’hui nous met face à un véritable défi alimentaire pour le siècle en cours. L’urgence est aussi écologique. Toute la filière agricole est aujourd’hui fortement dépendante de l’énergie fossile qui n’est pas inépuisable. Les sols s’épuisent, tout comme les cycles biologiques et biochimiques. Il n’est pas possible de penser l’alimentation sans l’idée de soutenabilité, c’est-à-dire sans un système viable écologiquement.
Les changements à opérer sont profonds. Le temps nécessaire à cette transition est long. Nous pensons que la pierre angulaire de ces changements se trouve dans le statut économique qu’occupent les denrées alimentaires dans notre société. Elles doivent être une exception parmi l’ensemble des produits commerciaux, se situer hors le champ de l’économie de marché, et de la libre circulation des marchandises. De la même façon qu’une monnaie locale se situe hors du système financier global, le changement d’échelle est impératif. Cette exception agricole suppose une revalorisation du métier d’agriculteur qui deviendra une espèce en voie de disparition si rien n’est fait (400 000 exploitations agricoles en France en 2016, contre 490 000 en 2010, soit une baisse de 18% en l’espace de 6 ans). Cela suppose de protéger marché agricole national du libre-échangisme, de rendre l’autonomie et le pouvoir aux agriculteurs qui sont les véritables nourriciers de l’humanité. Il faut pour cela proposer un système de production viable économiquement. Nous pensons que la filière se doit d’être refondée, rapprochant au maximum producteur et consommateur en diminuant les intermédiaires. L’agriculteur peut ainsi vendre sa production au prix le plus juste pour lui et le consommateur. Il n’est plus envisageable que les laiteries françaises ou les réseaux de grande distribution achètent des biens agricoles à un prix inférieur au coût de production, mettant en sursis les agriculteurs.
De plus, la recherche progresse et des modèles de production agro-écologiques atteignent des rendements élevés qui permettent d’envisager une alternative soutenable au modèle intensif. Une telle transition implique une refonte du modèle de production et des pratiques agricoles. On parle d’exploitations de plus petite taille et plus nombreuses. L’agriculture paysanne est riche en emplois, en ressources, elle produit des services écosystémiques essentiels et est une réelle perspective d’avenir pour notre société uniformisée sous bien des aspects.
En résumé, nous pensons que l’agriculture ne peut se résumer à des transactions financières, elle crée du lien social, préserve les paysages, nourrit les hommes, etc. Elle ne doit pas être soumise à des intérêts économiques comme c’est le cas aujourd’hui. A l’image de certaines production culturelles, l’agriculture doit être une exception parmi les produits du marché, et c’est ainsi que nous militons pour cette utopie que nous nommons « L’Exception agricole ».
20 février 2017