Transition 3 - Sémantique du changement ?

1.2 Sémantique du changement : transition, transformation, conversion, révolution ?

Il est souhaitable que la remise en cause de nos modes de vie actuels se fasse d’une manière assumée, dans « un mélange de continuité et d’innovation » (Touraine, 2013).
Transition, transformation et conversion sont des termes véhiculés actuellement avec la « transition écologique » comme formule prépondérante. La distinction de ces mots est essentielle (Tableau 1), puisqu’ils conditionnent à eux seuls la façon dont le changement doit être conçu et appréhendé.

Tableau 1. Comparaison des termes « conversion », « transition » et « transformation »

Comparaison des termes « conversion », « transition » et « transformation »
(recherches effectuées à partir du dictionnaire en ligne sensagent.com)
ConversionTransitionTransformation
Définition *Fait d’adopter une croyance religieuse que l’on considère comme la vérité.
*Fait de changer sa conduite, son opinion pour une autre que l’on considère plus juste.
*Passage d’un état à un autre
*Changement provisoire, menant à un nouveau stade
*Changer complètement
*Donner une autre forme, une autre apparence
Mots / expressions reliés *Changement d’avis *Conversion religi-euse
*Rendre plus simple et élémentaire
*Chose qui suit une autre
*Chacun des états successifs d’une chose
*Donner une propriété nouvelle
*Faire devenir autre

Ainsi, le changement devrait prendre en compte les contextes politiques, culturels et géographiques existants (on dit en biologie que tout processus est historiquement informé).
Une composante « expérimentale » forte est donc à prévoir (sous forme d’essai-erreur), pour permettre l’apparition d’une diversité d’innovations et de solutions adaptées et adaptatives, suivie ou non de leur rétention sociétale. Ceci est d’autant plus probable que le changement se fera dans un cadre co-évolutionniste (Foxon, 2011) dans lequel écosystèmes, technologies, institutions, stratégies économiques et pratiques des usagers s’agenceront en permanence.
La mise en cohérence des innovations à tous ces niveaux représente un filtre puissant, reliant progressivement des ensembles d’éléments hétérogènes dans de nouvelles configurations. Cette co-construction et sa progressivité semblent favoriser l’idée d’un processus de transition permettant de mieux comprendre la direction vers laquelle le changement s’opèrera.

Pour certains, cette perception n’est pas acceptable. Par exemple, pour Sandra Laugier, philosophe responsable de l’interdisciplinarité au CNRS, le fait d’envisager le passage d’un état stable à un autre est une «  grave erreur » (Libération, juin 2013). Le changement devrait plutôt se faire dans un contexte de transformation. On donnerait ainsi une toute nouvelle forme au système actuel.
Selon Patrick Viveret, la transformation est une mutation profonde, une totale métamorphose (Libération, septembre 2013).
Jean-Philippe Magnen (2011) parle d’une nécessaire refonte globale et en profondeur de l’économie, qui passera certes par la conversion de certains secteurs, mais aussi et surtout par l’invention de nouveaux secteurs.
L’économiste Nicholas Stern évoque, quant à lui, une mutation industrielle profonde pour le développement d’une économie à faible intensité carbone (Stern, 2007).

Pour tous, le système actuel doit nécessairement être abandonné pour qu’un nouveau puisse émerger. Plus classiquement, la crise et le changement qu’elle appelle ne sont-ils pas du registre d’un renversement séculaire, d’une « démolition et reconstruction structurelles » (Braudel, 1979) ? Dans la même veine, Westley et coll. (2011) considèrent que des profondes transformations sont nécessaires et « require radical, systemic shifts in deeply held values and beliefs, patterns of social behavior (and technological innovation), and multi-level governance and management regimes » .

Il faut également noter le déroulement des « États Généraux de la Transformation Citoyenne » en Octobre 2013 et la mise en relation des plates-formes collaboratives. Parmi elles se trouve « Le Pacte Civique », lancé en 2011 pour « amorcer et accompagner dans la durée les transformations collectives et individuelles requises par les crises, dérives et fractures qui touchent notre société et notre démocratie » (http://www.pacte-civique.org/MarchE).

Pour mieux asseoir les analyses et les controverses futures sur la sémantique du changement, il est souhaitable d’intégrer les questions des rapports homme-nature afin de mieux comprendre les processus mis en œuvre.

1.3 Les rapports homme-nature comme humanisme contractuel et responsable

Les considérations ci-dessus nous incitent à mieux vouloir comprendre comment les sociétés s’inscrivent dans la nature, comment elles transforment les milieux pour les rendre plus habitables et pour qu’ils produisent plus de services.
Les sociétés prélèvent les ressources pour les intégrer dans les processus qui sous-tendent leur fonctionnement. Les problèmes environnementaux sont à la fois économiques, sociaux et politiques.
Descola (2011) considère que la nature est une production sociale et que l’opposition nature/culture n’est qu’une pure convention, déterminant ainsi notre perception du monde.
Pour dépasser ce dualisme dans un contexte de crises multiples (dont celles de la démocratie représentative et de la citoyenneté), Juliette Grange (2012) propose une révolution écologique, un humanisme dont l’objectif est de faire des biens communs fondamentaux un Bien public dans le cadre d’une Res publica nationale, européenne, voire mondiale. Elle dit, « ce qui fait la valeur de l’environnement n’est pas seulement ce qu’il contient – la nature comme un ensemble de ressources, mais aussi les possibilités qu’il offre aux humains ». L’écologie et l’environnement font donc directement partie du contrat social, car il existe une nouvelle espèce de « nature » dépendante de l’humanité (créée par l’agriculture et l’industrie) par laquelle l’empreinte écologique et la justice sociale sont étroitement liées. Il s’agit de ne pas « sanctuariser la Nature, mais de considérer comme Bien premier des éléments garantissant les conditions d’une vie réellement humaine  » ; c’est-à-dire les ressources, qu’il est de notre intérêt de préserver.

En même temps, accéder à une forme de plénitude demande de bien comprendre et de hiérarchiser les besoins humains (Maslow, 2006). C’est dans ce sens que l’éthique environnementale s’efforce de démontrer que les entités naturelles (communautés biotiques et écosystèmes) sont des « valeurs intrinsèques » (Larrère, 2013).

Extrait de "Pour une démocratie socio-environnementale : cadre pour une plate-forme participative « transition écologique"
Les auteurs : Clappe et al, 2014
In : Penser une démocratie alimentaire / Thinking a food democracy, vol2, Collart Dutilleul F, Bréger T (Eds.), Inida SA, San José,pp 87-112

Article publié ou modifié le

15 septembre 2014