"Les Communs" vus par Michel Serres
Notre bien commun
Du Rhône, de Garonne ou du Danube, une source ne cesse jamais de s’épancher. Elle paraît infinie, le fleuve coulant toujours. Cependant la source n’est pas un commencement. L’eau qu’elle paraît donner, elle la reçoit de l’amont, de dix précipitations venues des eaux d’aval qui s’évaporèrent. On appelle source un lieu singulier de ce cycle fini.
Toute ressource tourne comme cette source. Dont les cycles peuvent durer des centaines, des milliers ou des millions d’années. L’énergie solaire en induit de brefs, ceux du feuillage, d’autres plus ou moins longs, du climat, de la houille, du pétrole. Mais tous sont finis, même notre étoile, destinée à sa nova dans quatre milliards d’années.
Seuls sont infinis le désir, le savoir, la volonté, la haine, la concurrence et la compétition, les guerres sans trêve… en tout, pour le pire et le meilleur, les projets humains ; et seule infinie notre histoire, son bruit et sa fureur, sa noblesse et ses chefs d’œuvre.
Nous vivions jadis persuadés de vivre finis dans un monde infini. Nous nous découvrons, au contraire, infinis dans un monde fini.
Décisive aujourd’hui, la question des ressources concerne ce quotient, difficile à penser, malaisé à maîtriser, entre ce fini objectif, disponible, évolutif, voire rare, et l’infini, subjectif et collectif, de nos sciences, plus ou moins sages, et de nos folies mortelles.
Avec les premières et contre les secondes, nous cherchons à définir nos vraies ressources : le Bien Commun de l’humanité.
Si, indéfiniment, nous nous battons pour ce bien, fini, nous sommes condamnés à l’éradication ; nous mourrons jusqu’au dernier, sans ressource.
Sous cette menace finale, notre destin devient la paix perpétuelle.
Michel Serres, 19 mai 2012
5 août 2014